La semaine du droit de la responsabilité

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19/04/2021
Civil - Responsabilité

Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit de la responsabilité, la semaine du 12 avril 2021.

Responsabilité contractuelle – garantie de parfait achèvement – cause étrangère
« Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 octobre 2019), la société Courbevoie, qui a entrepris la construction d'un immeuble collectif d'habitation sous la maîtrise d'oeuvre de la société IF architectes, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF), a confié le lot « sols souples-parquets » à la société Systèmes et méthodes des sols (société SMS), assurée auprès de la SMABTP.

La réception des travaux a été prononcée le 6 novembre 2014.
Par acte du 24 juillet 2015, la société Courbevoie, assignée en réparation par des acquéreurs en l'état futur d'achèvement, qui, ayant pris possession de leur bien après avoir obtenu la dépose et le remplacement du parquet, invoquaient un retard de livraison et des désordres affectant le nouveau parquet, a appelé en intervention forcée les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.

La cour d'appel a retenu à bon droit qu'en l'absence de notification préalable à l'entrepreneur des désordres révélés postérieurement à la réception, qu'une assignation, même délivrée avant l'expiration du délai d'un an prévu à l'article 1792-6 du Code civil, ne peut suppléer, les demandes indemnitaires du maître de l'ouvrage fondées sur la garantie de parfait achèvement ne pouvaient être accueillies.
Le moyen n'est donc pas fondé.
 
Vu l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'inexécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait eu aucune mauvaise foi de sa part.
Pour rejeter les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de la société SMS, l'arrêt retient que le choix du modèle du parquet était le fait exclusif du maître de l'ouvrage et qu'aucun défaut de pose ou d'exécution n'était imputable à celle-ci.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société SMS n'avait pas manqué à son devoir d'information et de conseil sur le parquet choisi au regard de l'usage auquel il était destiné, la cour d'appel, qui a constaté que ce parquet, comme celui qui avait été remplacé, se dégradait anormalement vite et était inadapté aux lieux de vie considérés, n'a pas donné de base légale à sa décision ».   
Cass. com, 15 avr. 2021, n° 19-25.748, P  *
 
 
Responsabilité – prescription – effet interruptif
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 avril 2019), par acte sous seing privé du 25 juillet 1990, l'établissement public autonome Aéroports de Paris, devenu la société Aéroports de Paris (ADP), a consenti à la société Kaufman & Broad développement (Kaufman & Broad) deux baux à construction sur un terrain dont il était propriétaire, pour y faire édifier huit bâtiments reliés entre eux par un passage piéton couvert d'une verrière et comprenant deux niveaux de sous-sol à usage de parcs de stationnement.
Par acte authentique du 15 mars 1991, Kaufman & Broad et ADP ont établi un état descriptif de division en volumes portant création de sept lots, ainsi que les statuts et le cahier des charges de l'association foncière urbaine libre Roissy air park (AFUL), dont devaient être membres tout preneur du bail à construction ou propriétaire des cinq premiers lots de volume, les lots 6 et 7, respectivement constitués des ouvrages et équipements d'utilité commune, dont la verrière, et du tréfonds, étant attribués à l'AFUL.
Par acte authentique du 15 mai 1991, Kaufman & Broad a vendu en l'état futur d'achèvement le lot n° 1 au groupement d'intérêt économique Roissypole, aux droits duquel vient ADP.
Par acte authentique du 27 novembre 1991, elle a vendu en l'état futur d'achèvement les lots de volume n° 2 à 5 à la société civile immobilière Roissy Bureau International (RBI), qui les a revendus à la société civile immobilière Dôme properties (Dôme properties).
Le 9 avril 1993, la réception des travaux a été prononcée avec réserves, avec effet au 30 mars précédent.
Se plaignant de désordres, l'AFUL, ADP et Dôme properties ont, après plusieurs expertises ordonnées en référé, assigné en indemnisation Kaufman & Broad et son assureur.
Le 23 octobre 2000, Kaufman & Broad a assigné en garantie les divers intervenants à la construction et leurs assureurs.
 
La jurisprudence de la Cour de cassation distingue deux situations différentes en ce qui concerne la régularité des actes de saisine du juge délivrés par une association syndicale libre.
D'une part, lorsque l'acte a été délivré par une association syndicale libre qui n'a pas publié ses statuts constitutifs, l'irrégularité qui résulte de ce défaut de publication, lequel prive l'association de sa personnalité juridique, constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte (3e Civ.,15 décembre 2004, pourvoi n° 03-16.434, Bull. 2004, III, n° 238, 3e Civ., 10 mai 2005, pourvoi n° 02-19.904 et 3e Civ., 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-11.778).
D'autre part, lorsque l'acte a été délivré par une association syndicale qui a publié ses statuts, mais ne les a pas mis en conformité avec les dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004, l'acte de saisine de la juridiction délivré au nom de l'association est entaché d'une irrégularité de fond pour défaut de capacité à agir en justice, qui peut être régularisée jusqu'à ce que le juge statue (3e Civ., 5 novembre 2014, pourvois n° 13-25.099, 13-21.329, 13-21.014, 13-22.192, 13-23.624, 13-22.383, Bull. 2014, III, n° 136 et 3e Civ., 3 décembre 2020, pourvois n° 19-20.259 et 19-17.868).
Aux termes de l'article 2247 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, l'interruption de la prescription est regardée comme non avenue si l'assignation est nulle pour défaut de forme.
Sous l'empire de cette disposition, il a été jugé qu'est également privé d'effet interruptif de prescription l'acte introductif d'instance affecté d'une irrégularité de fond (2e Civ., 2 octobre 1981, pourvoi n° 80-14.753, Bull. II, n° 176 et 3e Civ., 18 février 2004, pourvoi n° 02-12.205).
Ayant constaté que l'AFUL n'avait publié ses statuts que le 17 octobre 2003, ce dont il résultait que, avant cette date, elle était dépourvue de la personnalité juridique, la cour d'appel a exactement retenu, par ces seuls motifs, que les assignations délivrées par l'AFUL avant la fin de la garantie décennale, intervenue le 30 mars 2003, n'avaient pu produire aucun effet interruptif et que l'irrégularité de fond qui affectait ces assignations ne pouvait pas être couverte.
Elle a donc légalement justifié sa décision, sans être tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes sur l'éventuel maintien de l'effet interruptif attaché, d'une part, aux assignations jusqu'au rejet de l'action et, d'autre part, aux ordonnances de référé auxquelles elles avaient abouti.
 
Les ordonnances de référé déclarant commune à d'autres constructeurs une mesure d'expertise précédemment ordonnée n'ont pas d'effet interruptif de prescription ou de forclusion à l'égard de ceux qui n'étaient parties qu'à l'ordonnance initiale.
La cour d'appel, qui n'était donc pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a ainsi légalement justifié sa décision.
 
La Cour de cassation a jugé que seule une initiative du créancier de l'obligation peut interrompre la prescription et que lui seul peut revendiquer l'effet interruptif de son action et en tirer profit (3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459).
Si en matière de copropriété, elle a admis que le syndicat des copropriétaires qui agit en réparation des désordres affectant les parties communes puisse se prévaloir de l'effet interruptif de prescription attaché à l'assignation délivrée par un copropriétaire agissant en réparation de son préjudice personnel (3e Civ.,  20 mars 2002, pourvoi n° 99-11.745, Bull. 2002, III, n° 69), cette exception au principe de l'effet relatif de l'interruption de la prescription suppose qu'il existe un lien d'indivisibilité entre les désordres affectant les parties communes et ceux affectant les parties privatives (3e Civ., 27 mars 2013, pourvoi n° 12-12.121).
Or, la cour d’appel a constaté que l’état descriptif de division en volumes avait expressément exclu l’application du régime de la copropriété au motif que les volumes faisant l’objet de l’état descriptif de division étaient dotés d’une indépendance technique et fonctionnelle telle qu'il n'existait aucune partie commune entre les lots.
Elle a également constaté que l’AFUL était seule propriétaire du lot de volumes n° 6, comprenant la verrière, la desserte par voie piétonne des huit bâtiments, les espaces verts, ainsi que l’ensemble des locaux techniques, escaliers de secours, rampe d’accès au parking et autres équipements destinés au service de l’ensemble des propriétaires ou certains d’entre eux et qu’elle était seule chargée de la gestion et de la réparation de tous les éléments d’équipement d’intérêt collectif, ainsi que des actions s'y rapportant.
Elle a relevé qu'ADP était propriétaire du lot de volume n° 1, comprenant, en superstructure, les bâtiments A, B, C et D et, en infrastructure, un parc de stationnement au niveau -1, et quatre locaux indépendants au niveau -2, tandis que Dôme properties n’était que locataire, par l’effet d’une cession du bail à construction de cinquante ans consenti par ADP à Kaufman & Broad, des lots de volumes n° 2 à 5, comprenant, en superstructure, les bâtiments E, F, G et H, et en infrastructure, des locaux techniques, circulations, parcs de stationnement, ascenseurs et fosses d’ascenseurs.
De ces constatations et énonciations, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que l'AFUL avait seule qualité pour solliciter l'indemnisation des désordres affectant la verrière et les éléments d'équipement dont elle était propriétaire, qu'ADP et Dôme properties n'étaient recevables à agir qu'au titre des désordres affectant les parties dont elles étaient respectivement propriétaire et locataire à condition qu'ils n'entrent pas dans le champ d'action exclusif de l'AFUL et que l'AFUL ne pouvait se prévaloir de l'effet interruptif des assignations délivrées par ses membres.
Puis, ayant relevé, procédant à la recherche prétendument omise quant à l'existence de désordres ayant également affecté les lots de volume 2 à 5, que tous les désordres invoqués concernaient soit la verrière commune appartenant à l'AFUL, soit des éléments d'équipement commun gérés par l'AFUL qui était statutairement chargée d'exercer les actions s'y rapportant, elle en a exactement déduit, sans être tenue de répondre à des conclusions, que ses constatations rendaient inopérantes, relatives à l'intérêt et à la qualité à agir qu'aurait conservés Dôme properties, qu'ADP et Dôme properties étaient irrecevables à en obtenir réparation.
Ayant, par ailleurs, fait ressortir l'absence de parties communes et d'indivisibilité entre les désordres affectant les lots appartenant à l'AFUL et ceux affectant les lots dont ADP et Dôme properties étaient respectivement propriétaire et locataire, elle n'était pas tenue de répondre à des conclusions relatives à l'indivisibilité de l'action de l'AFUL et de ses membres, que ses constatations rendaient inopérantes.
Ayant, enfin, retenu sans dénaturation que, si l'action de Kaufman & Broad n'avait pas été affectée par la forclusion de celle de l'AFUL, elle ne pouvait avoir d'autre objet que d'obtenir le remboursement des sommes qu'elle avait réglées ou était susceptible de devoir régler à celle-ci, la cour d'appel a retenu à bon droit que cette action formée par le maître de l'ouvrage contre des locateurs d'ouvrage ne pouvait avoir interrompu la forclusion de l'action de l'AFUL.
Elle a ainsi légalement justifié sa décision de rejeter les demandes fondées sur l'article 1792 du Code civil et la responsabilité contractuelle pour faute prouvée en ce qui concerne les dommages intermédiaires, sans être tenue de procéder à des recherches, que ses constatations rendaient inopérantes, relatives, d'une part, à l'existence d'un préjudice personnel subi par ADP et Dôme properties en raison de l'atteinte que les désordres aux éléments d'équipement communs auraient portée à leurs biens, et, d'autre part, à la qualité pour agir de la société ADP sur le fondement de l'obligation de conformité.
 
La Cour de cassation a jugé qu'une assignation en justice ne peut interrompre le délai de garantie décennale des constructeurs qu'en ce qui concerne les désordres qui y sont expressément mentionnés (3e Civ., 20 mai 1998, pourvoi n° 95-20.870, Bull. 1998, III, n° 104).
Ayant relevé que, si ADP avait délivré, le 12 septembre 1996, une assignation visant une liste de désordres, ceux affectant les peintures de sols du premier sous-sol n'y avaient pas été mentionnés, la cour d'appel en a exactement déduit, quand bien même cette liste avait été qualifiée de « non limitative », qu’aucun effet interruptif à l’égard de ces désordres n’était attaché à cette assignation.
Le moyen n'est donc pas fondé ».
Cass. 3ème civ., 15 avr. 2021, n° 19-18.093 et n° 19-18.619, P *
 
 
Responsabilité – maître de l’ouvrage – sous-traitant
« Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 24 mai 2019), la société civile immobilière Activités courrier industriel (la SCI), maître d'ouvrage, a conclu avec la société en nom collectif Le Jarret (la SNC) un contrat de promotion immobilière avec délégation de maîtrise d'ouvrage.
La SNC a confié les travaux à la société EM2C, qui a sous-traité certains lots à la société Midi asphalte, devenue la société Face Languedoc Roussillon.
Une procédure de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de la société EM2C.
N'ayant pu obtenir le règlement de l'intégralité de ses créances par l'entrepreneur principal, la société Face Languedoc Roussillon a assigné la SCI et la SNC en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
 
Vu les articles 1382, devenu 1240, du Code civil et 14-1, alinéas 1 à 3, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance :
Selon le premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Selon le second, pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations et si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution.
Il en résulte que, la faute délictuelle ou quasi-délictuelle du mandataire n'engageant pas la responsabilité du mandant, celui-ci ne peut être condamné sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 que s'il a personnellement connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.
Pour condamner le maître d'ouvrage à réparer le préjudice subi par le sous-traitant, l'arrêt retient que le promoteur avait connaissance de sa présence sur le chantier.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la SCI avait connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Cass. 3ème civ., 15 avr. 2021, n° 19-20.424, P *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 19 mai 2021
 
Source : Actualités du droit