Accidents de circulation : la notion de voie propre a (enfin) une définition propre

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10/03/2020
Civil - Responsabilité
Affaires - Assurance

Par un arrêt du 5 mars 2020, la deuxième chambre civile saisit enfin l’opportunité d’élucider la notion de voie propre, qui n’a jamais fait objet d’une définition légale.
L’article premier de la loi du 5 juillet 1985, dite Badinter (L. n° 85-677, 5 juill. 1985), délimite son champ d’application en ces termes : « Les dispositions du présent chapitre s'appliquent, même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». Seulement, en ce qui concerne les trains et les tramways, la notion de voie propre n’a jamais été définie par le législateur. Le présent arrêt réussit mieux que d’autres à en donner une. 

En l’espèce, une personne a été heurtée par un tramway de la société Kéolis (opérateur privé de transport public), assuré par la société Allianz Eurocourtage. La victime assigne alors ces derniers en indemnisation des préjudices subis sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.

La demanderesse reproche à la Cour d’appel de décider que « l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée à la circulation du tramway l’ayant percutée » de sorte que celle-ci « a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas relative à la nécessité que la voie de circulation du tramway soit propre au lieu de l’accident ». Ainsi, une opportunité parfaite se présente pour les juges de cassation pour se prononcer sur le contenu de la notion de voie propre.

Pour ce faire, la Haute juridiction commence par rappeler les dispositions de l’article 1 précité. Pour ensuite préciser : « Attendu qu’ayant relevé d’une part qu’au lieu de l’accident les voies du tramway n’étaient pas ouvertes à la circulation et étaient clairement rendues distinctes des voies de circulation des véhicules par une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher leur empiétement, que des barrières étaient installées de part et d’autre du passage piétons afin d’interdire le passage des piétons sur la voie réservée aux véhicules, qu’un terre-plein central était implanté entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement, que le passage piétons situé à proximité était matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons, et retenu d’autre part que le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après le passage piétons, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a retenu que l’application de la loi du 5 juillet 1985 était exclue dès lors que l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée exclusivement à la circulation du tramway ».

En d’autres termes, pour exclure l’application de la loi Badinter, le tramway doit circuler sur une voie propre – fermée à la circulation et clairement distincte des voies de circulation des véhicules par une matérialisation physique, i.e. physiquement séparée. Ainsi, le point de choc doit se situer en dehors de cette zone – le passage piéton en l’espèce –, pour recouvrir le domaine de la loi du 5 juillet 1985.

Cependant, ces critères ne sont pas tous nouveaux. En effet, les Hauts magistrats ont déjà eu l’occasion de préciser qu’une voie propre est une voie matériellement séparée. Ainsi, si « le tramway circulait sur une voie ferrée implantée sur la chaussée dans un couloir de circulation qui lui était réservé, délimité d'un côté par le trottoir et de l'autre par une ligne blanche continue » alors ce tramway circulait bien sur une voie propre (Cass. 2e civ., 18 oct. 1995, n° 93-19.146). En même temps, si d'autres usagers peuvent emprunter la voie de circulation, elle ne sera pas considérée comme propre * (Cass. 2e civ., 6 mai 1987, n° 85-13.912). Dans le même ordre d’idées, dès lors qu’un tramway « traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route », il ne circule plus sur une voie propre (Cass. 2e civ., 16 juin 2011, n° 10-19.491).

L’arrêt a le mérite de regrouper ces critères, a priori cumulatifs, et de donner aux juges du fond enfin une « voie » claire à suivre dans le cas où des faits semblables se présentent. De pallier aussi l’incertitude qui entourait la notion jusqu’ici. Et, peut-être, de fermer la porte à l’extension prétorienne du domaine de la loi Badinter en la matière.
Source : Actualités du droit