Le fonds de pérennité : nouvel outil de gestion du patrimoine du chef d’entreprise

Image  Virginie GARCIA, ingénieur patrimonial
14/09/2020
Civil - Personnes et famille/patrimoine

Inauguré par un décret d’application fort attendu, le fonds de pérennité pourra désormais être constitué par le chef d’entreprise désireux d’affecter son patrimoine professionnel au déploiement d’un projet à capacité philanthropique avérée. La nouveauté de cette structure dédiée à l’actionnariat et à la gestion de titres de société invite à faire le point sur ses perspectives d’utilisation ainsi que sur les précisions apportées par le décret quant à son contrôle, sa gouvernance et son fonctionnement.
Par Virginie GARCIA, ingénieur patrimonial, étudiante du Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine
Rédigé sous la direction de Mehdi ALI-LARBI, CEO chez Family Office Business Services

Le 7 mai dernier est paru le décret autorisant la création du fonds de pérennité, nouvel outil juridique institué par la loi Pacte (L. n° 2019-486, 22 mai 2019, JO 23 mai, art. 177). Il permet au chef d’entreprise la transmission de son patrimoine professionnel à une structure conçue pour la détention pérenne de titres de sociétés et pour la gestion des entreprises détenues.
À un stade embryonnaire, il s’approche du modèle à succès des fondations actionnaires, abouti et rayonnant en Europe du Nord. Pouvant se consacrer à la réalisation de missions d’intérêt général, il pallie l’interdiction faite aux fondations de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise détenue, en vertu du principe de spécialité de leur objet. Son régime juridique et fiscal le laisse néanmoins en dehors du champ des organismes sans but lucratif (OSBL).
 
1. Le fonds de pérennité, ambition d’un projet philanthropique familial
 
Une libéralité à la fiscalité singulière
 
Le fonds est créé par l’apport, à titre gratuit et irrévocable, de titres de sociétés exerçant une activité opérationnelle (industrielle, commerciale, artisanale ou agricole), ou détenant directement ou indirectement des participations dans de telles sociétés. Cette libéralité pourra intervenir par donation ou par testament et devra respecter la réserve héréditaire des ayants-droit du gratifiant. Si un projet familial existe, les héritiers pourront toujours établir une renonciation anticipée à l'action en réduction.
L’apport ne donne donc pas lieu à une imposition des plus-values, ni à son report, mais à l’application de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 60 %. Si le régime d’exonération de droits des OSBL ne s’applique pas, la particularité fiscale du fonds réside dans son éligibilité au régime du Pacte Dutreil lorsque l’apport est réalisé en pleine propriété. Il est supposé que la réduction de droits de 50 % (CGI, art. 790) et le bénéfice du paiement différé et fractionné sur 15 ans (CGI, ann. III, art. 397 A) seront également applicables.
Le fonds permettra notamment d’assurer la bonne tenue des engagements de conservation et pourra exercer les fonctions de directions indispensables au bénéfice du régime dès lors que les enfants du chef d’entreprise n’en auraient pas la capacité.
L’apport en nue-propriété reste possible sous réserve du contrôle de la société, mais priverait alors le fonds du bénéfice du régime Dutreil-transmission et de ressources pendant la durée de l’usufruit viager. En revanche, le démembrement sera utile comme garant d’un actionnariat inamovible tout en laissant au fondateur la perception des fruits de son entreprenariat.

Une option pour la mise en œuvre du projet philanthropique

Le fonds peut réaliser ou financer des œuvres ou des missions d’intérêt général : il pourra être choisi pour mettre en œuvre de façon directe le projet philanthropique de son fondateur ou reverser les fruits des titres détenus au profit d’un autre OSBL adossé, avec application de la fiscalité du mécénat d’entreprise.
Comme pour les OSBL, le fonds de pérennité permet une transmission définitive de patrimoine à une structure capable de réaliser des projets philanthropiques grâce au produit de ses titres, conformément à son objet. Il pourra ainsi être entièrement consacré à la philanthropie, passant par une rédaction adaptée de ses statuts.
Le fonds ne peut recevoir de subventions du public mais pourra néanmoins recevoir d’autres biens et droits de toute nature du patrimoine de son fondateur, l’usufruit temporaire étant supposé exclu. Le chef d’entreprise pourra donc être à l’origine de la création d’une véritable holding patrimoniale alimentant un projet philanthropique défini et ayant pour mission exclusive de faire fructifier l’entreprise familiale conformément à une politique donnée.

2. Le fonds de pérennité, gestionnaire du patrimoine professionnel
 
Une holding patrimoniale de contrôle
 
Le fonds permet au fondateur de pérenniser l’entreprise et d’en sanctuariser les valeurs. Devant contrôler la société apportée au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, il s’érige nécessairement en actionnaire majoritaire pouvant imposer une certaine politique de gestion, de conduite des affaires et d’emploi des ressources à travers ses statuts qui pourront inclure une visée philanthropique.
Conçu pour contrôler, animer et conserver les entreprises détenues, sa constitution pourra s’accompagner d’un paramétrage de l’inaliénabilité des titres apportés (jusqu’à 100 %), le décret imposant la déclaration d’une liste. Incessible, le patrimoine professionnel du chef d’entreprise s’insère dans une bulle de stabilité, dirigée par une structure enveloppante. L’objet social de l’entreprise s’en trouve ainsi sauvegardé, assurant la poursuite de son développement économique et sa protection conformément aux convictions de son fondateur.
Véritable chef de file, la fiscalité de son fonctionnement est similaire aux sociétés soumises à l’IS et rien ne semble s’opposer à l’application du régime mère-fille, tant pour le produit de cession des titres pouvant être cédés (quote-part de frais et charges à 12 %), que pour les dividendes (exonération à hauteur de 95 %).
 
Une holding patrimoniale contrôlée
 
Le décret décrit un formalisme de constitution simplifié par rapport à la Fondation Reconnue d’Utilité Publique (FRUP), matérialisé par une déclaration en préfecture et un dépôt des statuts.
La gouvernance du fonds devra obéir à une certaine forme : un conseil d’administration d’au moins 3 membres dont la majorité des 2/3 sera requise pour toute modification statutaire. Un comité de gestion composé d’au moins 1 membre du conseil d’administration et de 2 membres tiers sera chargé du suivi permanent des sociétés détenues, formulant des recommandations, études et expertises. Dans le cadre d’un projet familial, la place des héritiers du fondateur au sein de cette gouvernance pourra revêtir toute son importance. Notons que le fonds n’a pas été conçu pour faire office de trust ou de fiducie-libéralité : à sa dissolution, une taxation de sortie à 60 % sera applicable pour un bénéficiaire personne physique.
À l’instar du contrôle d’un commissaire aux comptes, le décret précise la teneur du contrôle du fonds par l’autorité administrative à travers le dépôt de ses rapports d’activité. Une collaboration entre la préfecture et une mission du Contrôle Général Économique et Financier, désignée par arrêté ministériel, permet à cette dernière de mettre en demeure d’agir le fonds qui manquerait à ses obligations statutaires sous peine d’une dissolution-sanction. Le manquement du fonds sort ainsi de la sphère purement privée et le pouvoir contraignant de ses statuts, traduction de la volonté de son fondateur, s’en trouve amplifié.
Constatons qu’une nouvelle dimension est donnée à l’intérêt général : performances économique et sociale se combinent désormais pour la pérennisation de l’entreprise et le développement de projets philanthropiques. La prise en compte d’enjeux sociétaux devient garante d’une image de marque servant l’entreprise dans toutes ses relations économiques.
La recherche du juste équilibre entre notoriété et pur altruisme a pu être illustrée par un arrêt du Conseil d’État en date du 23 mars 2020, lequel précise que la réduction d’impôt mécénat est subordonnée à ce que l’avantage publicitaire retiré par la société donatrice ne représente qu’une contrepartie très inférieure au montant du versement (CE, 20 mars 2020, n° 423664). En droit français, la libéralité semble donc encore seule constituer la réalisation de la mission d’intérêt général.
 
Source : Actualités du droit